Génini a eu l’inspiration heureuse qu’il y avait là encore matière à raconter
– « Le souk m’appelle » nous dit Izza Génini.
– « Ana ghada lkhmiss – je vais au souk du jeudi » chante Hajja Hamdaouia
Deux voix magnifiques qui se croisent et dialoguent par la magie du cinéma. Le nouveau film de la cinéaste marocaine Izza Génini, Mon souk lkmiiss d’El Gara (2023) est en effet le récit d’une double rencontre. La rencontre de la cinéaste avec les lieux de son enfance dans un voyage à travers la mémoire familiale et collective. Un voyage fait de rencontres inédites notamment celles que le scénario n’a pas prévu comme celle avec la chanteuse populaire, la star de l’Aita, Hajja Hamdaouia et le groupe des frères El Bouazzaoui. Rencontre par hasard lors du tournage du film. Comme quoi la logique du documentaire est respectée jusqu’au bout : si la fiction est l’œuvre de l’auteur (le scénariste), le documentaire est l’œuvre de Dieu…
En revoyant les rushes de son documentaire, Retrouver Oualad Moumen (1974), Izza Génini a eu l’inspiration heureuse qu’il y avait là encore matière à raconter. Raconter cette fois son parcours personnel ; faire un film à la première personne où auteur et narrateur se confondent. Le film revendique, en effet, l’inscription dans un genre : le documentaire autobiographique. Agnès Varda parle à ce propos « d’auto-doc ». La cinéaste est un personnage que nous suivons ; elle se filme filmant les modalités d’une énonciation personnelle (des photos de famille). Le sujet de l’énonciation (Izza Génini) et le sujet de l’énoncé ne font qu’un (Lison enfant/ Izza adulte).
Porté par une voix off, avec un magnifique parler marocain de la cinéaste, et des images issues de la mémoire individuelle et familiale, le film nous emmène sur les traces de son passé et de ses racines hybrides et composites. À partir d’éléments autobiographiques : le lieu de naissance réel et non celui inscrit dans les documents officiels, les relations établies par le père, la référence à de moments de l’histoire du pays…le récit se développe devant nous avec des moments forts de grande émotion, des pauses descriptives qui donnent la parole au regard. Un regard qui capte du quotidien, du banal, de l’habituel, de l’ordinaire pour faire d’une existence singulière la matière même du récit. L’autodocumentaire fonctionnant par agencement de bribes de vie réelle pour montrer, mettre en valeur l’originalité d’un parcours riche de significations.
Pour ce faire, elle s’adresse à nous à partir d’un « je » qui s’assume. Un choix intéressant d’un point de vue théorique. Le recours à la voix off interpelle, en effet, les auteurs du documentaire. Dans la pratique moderne, les cinéastes du documentaire fuient délibérément l’usage de la voix off par crainte de verser dans une forme de didactisme. Dans ce sens, le refus de la voix off cherche à tirer le documentaire du côté du cinéma et l’éloigner du reportage. Tout est question cependant de l’usage que l’on en fait. Sa présence n’est pas condamnable dans l’absolu ; elle offre des possibilités du renouvellement du genre. Elle s’inscrit dans une double fonction : narrative et subjective. C’est l’une des réussites du film d’Izza Génini ; le grain de la voix offre en outre un plus d’authenticité au film. Rien n’est artificiel.
Un lieu central va ordonner le récit et lui donner son plein de sens : le souk. Ma première impression je la résume ainsi : si vous aimez les souks, l’Aita, thé et beignets sous la tente…vous ne pouvez qu’aimer le film d’Izza Génini. Tout son film est dédié au souk ; il est présent dans le titre car, comme elle le dit dans le film : tout a commencé le jour du souk. Le souk d’antan qui était plus qu’un rendez-vous commercial hebdomadaire mais une véritable manifestation de la liesse populaire. Un lieu qui a façonné ses souvenirs d’enfance et qu’elle restitue symboliquement au cinéma comme un haut lieu de pèlerinage profane dédié aux gens humbles. Elle en fait un lieu qui parle ; un système de signes : Izza Génini filme une mythologie marocaine.
Ce n’est pas un objet mort que filme Génini ; ce retour au passé n’est pas une plongée dans le temps perdu. Ce retour aux sources est l’occasion pour filmer une société dynamique avec la récurrence dans le film de plans de mouvements : les charrettes, les vélos, les camions, les chevaux, les ânes…ça bouge beaucoup dans le film.
Elle reste ainsi fidèle à sa démarche initiale ; celle à laquelle elle a consacré son œuvre et son engagement professionnel : réhabiliter la culture populaire, d’un Maroc authentique, rural souvent, au-delà des clichés et de l’imagerie exotique.